Au collège à Morsang/Orge

Les séances de créations en terre se sont révélés très riches au collège Jean Zay à Morsang sur Orge. Le thème était particulièrement intéressant, un thème de travail et de mémoire sur la 1ère guerre mondiale.

Après leur visite à Verdun du Mémorial de la guerre, les élèves ont étudié le texte de Laurent Gaudé dont je vous mets un extrait. Les séances de poterie complétaient ce travail préliminaire en rendant « corps » à ce texte et complète la réflexion faite en amont avec les professeurs de français et d’histoire.

Nous avons travaillé avec de la terre rouge, matière la plus naturelle, celle que l’on trouve sous nos pieds. Les élèves pouvaient travailler sur le golem ou sur les soldats de boues.

Après les explications indispensables pour créer avec la terre, les élèves se sont lancés avec beaucoup d’implication. Je leur ai apporté l’aide utile pour mener à bien leur projet : utilisation de la barbotine, les moyens d’ éviter les bulles d’air,…

Chacun a fait sa représentation en argile donnant une présence physique issue de leurs émotions

Voici quelques photos des résultats

Après la cuisson .

Le texte

Cet extrait d’une rare puissance , parle du devoir de mémoire ressenti par son auteur. Il est le porte parole de ses frères d’armes tombés au combat mais aussi de façon plus universelle de tous les soldats. Le statues qu’il érige deviennent le témoin des cris désormais silencieux de ces soldats disparus et par leur présence tangible en terre témoignent qu’ils ont été.

JULES
Je cours maintenant. Je sais où je vais. J’ai compris ce que voulait le gazé. J’ai enfin compris ce qu’ils veulent, tous ceux qui me parlent à voix basse. Arrivé à l’entrée du village, je me suis arrêté. Je veux juste leur laisser une trace de mon passage. Qu’ils sachent à leur tour qui est le gazé. Je travaille sans relâche. Prenant à pleines mains la terre. J’ai toute la nuit pour moi. Toute la nuit pour lui donner corps. J’ai fait un gros tas de terre.
Je le modèle maintenant. Je lui donne le visage du gazé. Mes mains ne s’arrêtent pas de glisser d’un bout à l’autre de ce grand corps de boue informe. Je ne pousserai plus aucun cri. Les hommes du village sont sourds et je n’ai pas la force qu’il faudrait. Mais
lorsqu’ils se réveilleront demain, ils verront, là, à la sortie du village, sur le bord de la route, mon golem de terre qui les regarde sans parler.
C’est un tronc qui sort de terre. S’appuyant de toute la force de ses bras sans que l’on sache si c’est pour s’extraire de la boue ou pour ne pas y être absorbé. Il a la tête dressée vers le ciel. Bouche grande ouverte pour laisser sortir son cri de noyé.
Calme-toi, le gazé, je te fais une stèle à ta taille. Pour que tu ne sois pas oublié. Je la laisse derrière moi, témoin du grand incendie des tranchées. Je n’entends plus le gazé. Sa voix s’est tue en mon esprit. Mais j’en entends d’autres. Oui. Une autre voix a pris la place de la sienne. Je l’écoute. Je la laisse parler. Il me faut chercher un autre village. Pour y planter une autre statue. À chaque statue que je finis, la voix qui me hante se tait. Une à une les voix s’apaisent. Mais il en revient toujours. C’est une vague immense que rien ne peut endiguer. Je donne vie, un par un, à un peuple pétrifié. J’offre aux regards ces visages de cratère et ces corps tailladés.
Les hommes découvrent au coin des rues ces grands amas venus d’une terre où l’on meurt. Ils déposent à leur pied des couronnes de fleurs ou des larmes de pitié. Et mes frères de tranchées savent qu’il est ici des statues qui fixent le monde de toute leur douleur.
Bouche bée.

Laurent Gaudé, Cris (2001), Actes Sud, réédition Le livre de poche.

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